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Prospective de la profession comptable réalisée en 1995

La profession comptable a commémoré cette année le cinquantième anniversaire de son organisation actuelle. Dans le cadre de son Congrès annuel, il a semblé important au Conseil Supérieur de l’Ordre de mettre en perspective les évolutions historiques de la profession, et de formuler un certain nombre d’idées pour l’avenir. Une nouvelle phase semble s’ouvrir pour les cabinets d’experts comptables, avec son lot d’incertitudes et d’adaptations à réaliser. L’évolution technologique, l’internationalisation économique, l’évolution des activités et des modes de gestion des entreprises sont autant de facteurs impactant l’évolution des cabinets comptables, pour lesquels des changements majeurs sont envisageables. Afin de faciliter l’émergence d’une vision globale de ces enjeux, il a été demandé à Gemini Consulting de réaliser une étude de prospective portant sur les dix ans qui viennent.

  • Œ        Objectifs et approche de l’étude prospective
  •         Présentation synthétique des trois scénarios pour le futur
  • Ž        L’évolution des services dans les différents scénarios
  •         L’usage des nouvelles technologies dans les différents scénarios
  •         Compétences et spécialisations dans les différents scénarios
  • ‘        Le scénario de la Mutation
  • ’        Le scénario catastrophe de la Déchirure
  • “        Le scénario optimiste de la Reconquête
  • ”        Conclusions
  • •        Glossaire

 Œ 

OBJECTIFS ET APPROCHE DE L’ÉTUDE PROSPECTIVE

Cette étude, réalisée entre juillet et septembre 1995, se situe dans le prolongement de la réflexion prospective initiée en 1987 au Congrès de Saint-Malo et développé en 1992 au Congrès de Paris. Celle-ci correspondait à l’émergence de nouvelles craintes quant à l’avenir de la profession (développement des centres de gestion agréés, remise en cause du monopole...). Ces craintes n’ont pas été concrétisées, mais les pistes tracées n’ont pas donné lieu non plus à de réelles transformations du secteur, même si des percées dans de nouveaux segments (associations, conseil...) traduisent l’ajustement progressif de la profession face notamment au progrès technologique. Une nouvelle étape dans cette démarche d’anticipation impulsée par le Conseil Supérieur de l’Ordre est aujourd’hui possible, en ce sens qu’elle peut maintenant s’enrichir d’un historique qui n’existait pas il y a huit ans. Plus précisément, la réflexion prospective peut mieux tenir compte aujourd’hui de la vitesse de transformation effective du secteur, des modalités concrètes de mise en oeuvre des changements dans les cabinets, dans l’organisation des activités, dans le développement de nouvelles compétences et dans les succès rencontrés sur de nouveaux marchés. Après un travail de recherche et d’interviews des différentes parties prenantes du secteur, une description synthétique des activités de la profession a été réalisée. Elle s’est appuyée d’abord sur l’élaboration d’une liste d’une soixantaine de paramètres externes ou internes à la profession, puis sur la description de leurs interactions respectives (cf. annexe). Ce travail a impliqué la Direction des Études du Conseil Supérieur et a été alimenté par les éléments Gemini Consulting.

Cette cartographie a donné lieu à la sélection de 18 variables clés permettant l’articulation de trois scénarios types pour le futur, correspondant à des rythmes d’évolution des facteurs externes à la profession et des facteurs internes. Ces scénarios types ont fait l’objet d’une définition commune en groupe de travail, fondée sur les variables clés déjà identifiées.

La diversité de la profession facteur de complexité et de richesse

Réfléchir sur l’avenir impose un retour sur l’histoire, et sur la complexité de la réalité. D’abord, en dépit des discours volontaristes prononcés depuis près d’une dizaine d’années, le développement du conseil effectivement facturé n'a concerné qu'une minorité de cabinets. Ensuite, c’est l’activité actuelle des cabinets qui constitue la trame sur laquelle les avenirs possibles s’écrivent, et il faut sans doute aucun tenir compte de la diversité de la profession comme d’une richesse globale de l’offre sur laquelle il est possible de capitaliser. Enfin, et c’est la principale difficulté à maîtriser au cours des années qui viennent, même les meilleures idées alimentent la concurrence par les prix dans un marché banalisé. Il s’agit donc de voir dans quelle mesure les interdépendances peuvent évoluer à partir d’un système de “commodisation” en permettant une sortie de crise.

La prise en compte de cette complexité ne doit pas occulter la nécessité de l’action. En premier lieu, comme la Ligne Maginot, aucune réglementation n’est indestructible : son maintien n’est assuré que si son coût net pour la collectivité garde du sens. De plus, aucune clientèle n'est certaine : la volatilité de la demande augmente, phénomène que les comportements culturels et concurrentiels tendent à légitimer et à accentuer. En dernier lieu, les experts comptables doivent tenir compte de la nature de la concurrence propre aux services, qui veut que la seule barrière durable à l'entrée pour les services réside dans leur dynamique : l’imitabilité forte des procédures, des méthodologies est telle qu’en l’absence d’efforts permanents d’investissements la rentabilité chute rapidement.

Enfin, il faut souligner la difficulté du changement au sein de la profession, qui conduit à ne retenir d’évolutions rapides de la profession que sous l’exercice d’une pression forte de l’environnement. Plusieurs éléments alimentent cette réflexion. En premier, la profession a accumulé depuis 1987 (Congrès de St Malo) de nombreuses études, offrant aux professionnels de réelles ressources pour anticiper les changements nécessaires. Nous rentrons aujourd’hui dans une nouvelle phase, qui est celle de la vision a posteriori de ces anticipations, et nous pouvons voir le décalage entre les projections et la réalité. Deuxièmement, on peut considérer que la profession souffre aujourd’hui comme hier de nombreux facteurs d’inertie. La fragmentation économique réduit les possibilités d’investissement et dilue les effets des décisions. La diversité des cabinets, des pratiques de gestion des experts comptables, et de leur stratégie complexifie les processus de décision, ce qui est sensiblement renforcé par les caractéristiques réglementaires auxquels sont soumis experts comptables et commissaires aux comptes, et par les aspects plus politiques de l’organisation professionnelle et de son fonctionnement.

Pour autant, la profession n’a pas la maîtrise de l’ensemble du calendrier et les évolutions de l’environnement ne se joueront pas uniquement dans une partition harmonieuse. Compte tenu de ce qui vient d’être souligné, il importe donc de situer tout exercice de prospective dans l’urgence. Dans 10 ans, les bacheliers qui se dirigent aujourd’hui vers les métiers de l’expertise comptable auront 3 ans d’expérience, soit à peine la maîtrise des dossiers des clients. 10 ans pour la profession, c’est demain. A contrario, les choix de développement de la profession ont un impact à court terme sur l’organisation de la formation d’expertise comptable.

Une vision dynamique des futurs possibles 

De nombreux facteurs considérés jusque là comme des constantes du secteur se révèlent progressivement fragilisés par les évolutions technologiques, économiques, et sociales. Dans cette approche, il convient de souligner l’interdépendance des facteurs d’évolution. Par exemple, la répartition des missions par types de clients dépend de la compétence mobilisable par les cabinets. Dans une telle situation, il faut donc tenir compte de la tendance initiale pour tracer les trajectoires possibles, et intégrer les éléments de nature à impacter ces trajectoires.


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PRÉSENTATION SYNTHÈTIQUE DES TROIS SCÉNARIOS POUR LE FUTUR

La profession est marquée par la complexité : diversité des cabinets, des clientèles, des missions, des projets de développement se combinent à un environnement institutionnel multidimensionnel lui-aussi. Pour pouvoir en même temps rendre compte de cette complexité, et fournir un canevas de réflexion utile à l’action, une typologie des scénarios possibles a été construite. Les scénarios sont différenciés selon deux axes, qui correspondent d’un côté aux changements de l’environnement externe à la profession, et de l’autre côté aux changements de la profession elle-même.

Les s trois scénarios-types finalement retenus, à la fois pour leur vraisemblance, et pour leur pertinence :

S0 est un scénario tendanciel, appelé “La Mutation”. Ce scénario est fondé sur l’hypothèse qu’il n’y a pas de ruptures majeures dans les évolutions externes, et que celles-ci poursuivent les tendances observables au cours de la dernière décennie. En l’absence d’incitations fortes au changement, la profession évolue selon les modalités actuelles, ce qui aboutit à une mutation progressive de la profession, sans phénomène de crise.

Les deux autres scénarios partent d’une hypothèse d’évolution accélérée des éléments d’environnement, ceci toujours sans rupture majeure dans l’environnement social, économique, et sans crise politique. Les deux scénarios se différencient selon les hypothèses de changement de la profession.

S1 un scénario de crise, appelé “La Déchirure”. La poursuite du rythme actuel d’évolution de la profession aboutit à un scénario de déchirure de la profession. Des disparités croissantes se développent entre les cabinets qui ajustent leur offre de services et spécialisent l’outil de travail, et des cabinets qui s’adaptent mal à un environnement qui offre aux dirigeants d’entreprises des alternatives nombreuses d’accès aux compétences comptables et d’aide à la gestion. Cette évolution se fait dans un cadre institutionnel qui, faute de flexibilité, est remis en cause.

S2 un scénario de transformation rapide, appelé “La Reconquête”. C’est celui d’une adaptation rapide de la profession, qui s’engage, au niveau des cabinets et au niveau des institutions, dans une stratégie volontariste. De nouvelles activités sont développées soit pour accroître la valeur ajoutée vendue aux clients, soit pour réaliser des gains de productivité. L’utilisation des nouvelles technologies (multimédia interactif) est rapidement maîtrisée par les professionnels, qui y voient une opportunité pour mieux répondre à des attentes plus techniques, mais aussi pour amortir plus facilement des compétences plus pointues.

 

Résumé des hypothèses d’évolution de l’environnement selon les scénarios

Paramètre

Hypothèses de Continuation (S0)

Hypothèses d’Accélération (S1,S2)

L’intégration européenne

. s’approfondit

. s’étend géographiquement

. accélération des concurrences réglementaires et institutionnelles dans la perspective de l’intégration politique

. concurrence trans-frontière forte avec l’arrimage des PECO dans l’EEE

La géographie économique

. montée de la décentralisation

. développement des délocalisations

. la proximité devient une commodité à gérer, du fait de la capacité d’accéder à des services à distance

. la stratégie d’implantation des entreprises se diversifie et l’ancrage géographique devient plus volatile

L’internationalisation économique

. concerne plus de secteurs

. impacte de plus en plus les TPE et les PME, à travers leurs débouchés ou fournisseurs, leurs actionnaires, les normes applicables aux produits...

. de nouveaux pays rentrent dans les marchés à valeur ajoutée via les réseaux informatiques

. les télé-services trans-frontières sont accessibles à la majorité des entreprises

La tertiarisation des activités

. la gestion s’industrialise

. la gestion se complexifie

. développement des activités de services aux entreprises et aux particuliers

. spécialisation des entreprises de services sur des créneaux de plus en plus complexes

Les modes d’organisation des entreprises

. deviennent plus flexibles

. favorisent l’autonomie de décision de leurs unités d’activités en harmonisant les systèmes d’informations

. la structure des entreprises devient virtuelle autour de quelques composantes clés

. la volatilité des marchés se meut en volatilité des organisations

L’informatisation des TPE

. diffusion des nouvelles technologies vers le grand public

. amélioration de la convivialité multimédia

. les TPE sont mieux informatisées que les grands groupes

. les débouchés des nouvelles TPE se font sur les réseaux

 

Ž

L’ÉVOLUTION DES SERVICES DES EXPERTS COMPTABLES

DANS LES DIFFÉRENTS SCÉNARIOS

Les scénarios peuvent être caractérisés par la rentabilité des différentes catégories de services. Celle-ci reflète en effet l’ajustement de l’offre des experts comptables aux besoins des clients.

SCÉNARIO DE MUTATION La tenue/surveillance voit sa rentabilité baisser et la concurrence augmenter, en conformité avec les tendances actuelles. Le développement de l’externalisation des activités comptables ne modifie pas fondamentalement le marché, en restant plutôt confiné à des grands groupes qui conservent la valeur ajoutée en interne (directeur financier, contrôleur de gestion...), et à quelques PME. La rentabilité de l’audit contractuel se maintient mais cette activité reste marginale. La pression concurrentielle reste faible -essentiellement parce que peu de cabinets peuvent effectivement vendre cette activité. Pour les activités de conseil, les débouchés nouveaux requièrent des investissements, ce qui maintient la rentabilité à ses niveaux actuels. En revanche, les prestations connexes représentent un potentiel d’amélioration de la faculté contributive des clients, et une capacité à optimiser des compétences par ailleurs nécessaires aux cabinets.

 

SCÉNARIO DE DÉCHIRURE La chute de la rentabilité des activités traditionnelles est plus forte. Ceci tient notamment à la montée des délocalisations pour une partie de l’activité comptable, facilitées par l’internationalisation des services et l’automatisation. Dans le même temps, l’automatisation se propage à des tâches comptables nouvelles, notamment de contrôle. Ceci n’est pas compensé par l’externalisation des activités comptables. Le besoin d’investissements et de réorganisation des cabinets conduit de nombreux professionnels à abandonner ce marché, sans solution durable de reconversion ; d’autres s’y engagent sans offrir de vraie valeur ajoutée, ce qui pèse sur la rentabilité. Pour préserver leur chiffre d’affaires, les professionnels développent autant que possible leurs prestations d’audit contractuel et d’autres formes d’opinions (fonctions d’attestation), en complément des missions de commissariat aux comptes, qui souffrent d’une banalisation rapide. En l’absence d’une valeur ajoutée importante, et du fait de la concurrence accrue, la rentabilité moyenne de ces prestations tend à baisser. De la même manière, le conseil devient plus concurrentiel, mais les différenciations entre cabinets sont plus importantes, ce qui permet de maintenir les niveaux actuels de rentabilité. Enfin, les prestations connexes sont rapidement banalisées du fait surtout d’une concurrence “externe” forte.

SCÉNARIO DE RECONQUÊTE Les évolutions drastiques sont utilisées activement par les professionnels pour accélérer l’évolution de leur offre vers des prestations à valeur ajoutée. La rentabilité des activités traditionnelles se maintient grâce à du service additionnel : l’externalisation est ainsi conçue essentiellement comme tremplin à l’amélioration de l’offre (tableaux de gestion, aide à la décision en temps réel...). Les missions d’audit se différencient rapidement (environnement, risques, ...) et l’offre des cabinets devient plus segmentée, ce qui permet de maintenir des niches de rentabilité. L’activité de conseil devient plus proche des préoccupations des entreprises, son implication opérationnelle prenant le pas sur la nature comptable de l’information. Enfin, l’offre de prestations connexes est mieux maîtrisée par les experts comptables, qui parviennent ainsi à maintenir une relation d’intermédiation entre les dirigeants d’entreprises et les différents aspects de la gestion d’une entreprise.

L’USAGE DES NOUVELLES TECHNOLOGIES DANS LES DIFFÉRENTS SCÉNARIOS

Les scénarios sont construits sur des hypothèses d’évolution de l’environnement technologique, à savoir :

La disponibilité des infrastructures permettant l’utilisation de services multimédia interactifs pour les TPE. Plus précisément, ceci recouvre à la fois le déploiement des réseaux large bande, le développement de plates-formes technologiques (téléports notamment), et l’évolution des technologies permettant d’optimiser les infrastructures existantes (compression de données entre autres) ;

L’évolution des usages au niveau sociétal. Ceci renvoie notamment à l’évolution des interfaces logicielles, à l’offre des prestataires de services informatiques, au niveau éducatif des utilisateurs et à leur accoutumance aux technologies de l’information, à l’intégration des flux dématérialisés dans les pratiques économiques et réglementaires...

SCÉNARIO DE MUTATION Les utilisateurs des NTIC restent essentiellement des grandes et moyennes entreprises, surtout implantées dans les zones urbaines bien desservies en réseaux de télécommunications. L’utilisation du multimédia reste essentiellement off-line (CD-ROM) pour les particuliers et les TPE. Elle permet des améliorations dans la circulation et le traitement de l’information, sans engendrer pour autant de rupture forte sur la nature des services offerts. Pour les experts comptables, l’utilisation de l’informatique télécommuniquante est essentiellement orientée par la recherche de gains de productivité (EDI, télé-déchargement de données). Les télé-services sont accessibles via les réseaux téléphonique ou le RNIS pour les TPE, mais ne comportent que peu de services multimédias interactifs comme la vidéoconférence, ou le groupware. Des implantations de plates-formes technologiques (téléports) permettent néanmoins aux dirigeants d’entreprises de se familiariser avec ces outils, sans les intégrer dans la gestion courante. Les cabinets disposant d’une clientèle de GE/PME sont amenés à proposer des télé-services de plus en plus complets, permettant à ces clients d’accéder à une expertise en temps réel. Cette évolution conduit à une réorganisation des compétences au sein des grands réseaux, tandis que la plupart des cabinets restent à l’écart du marché électronique des compétences.

 

SCÉNARIO DE DÉCHIRURE La permanence d’une approche plutôt individualiste des professionnels tend à augmenter la diversité des adaptations à un environnement changeant rapidement. Des innovateurs indépendants utilisent la diffusion des outils de télécommunication multimédia pour offrir à leurs clients des prestations plus complexes, fondées sur des alliances avec d’autres professionnels innovants. Les cabinets intégrés développent leur offre multimédia sur une base internationale, et la diffusent vers les PME et les TPE. De nouveaux segments d’utilisateurs sont créés avec la diminution rapide des coûts des matériels et des logiciels et la disponibilité des réseaux de télécommunications. L’acceptabilité de ces outils est facilitée par la diffusion forte des PC télécommuniquants destinés à des usages domestiques (musées virtuels, agences de voyage, banques virtuelles, télé-shopping intelligent, gestion domotique...). Les dirigeants d’entreprise peuvent facilement accéder à des télé-experts très spécialisés (type SVP voix/données/image), en France ou dans le monde. Face à cette évolution, dans l’hypothèse d’une inertie de l’offre des experts comptables, le rôle de partenaire des dirigeants de TPE s’effrite. L’image de professionnels est remise en cause, ce qui accentue la volatilité de la clientèle et accroît la concurrence, jusqu’à remettre en cause les prérogatives d’exercice. Pour autant, des cabinets bénéficient de cet environnement technologique, et accélèrent la crise du secteur en re-formulant leur prestations dans des domaines non-réglementés. Cette tendance peut déboucher sur une situation inverse de la situation actuelle : alors qu’aujourd’hui, la prestation de conseil est souvent incluse gratuitement comme un des moyens de fidélisation pour une prestation comptable, ce scénario peut voir se développer une offre fondée sur la prise en charge gratuite des activités comptables comme un des moyens de fidéliser des clients du conseil.

 

SCÉNARIO DE RECONQUÊTE Une approche plus collective inspire le scénario de Reconquête. Face aux mêmes changements de l’environnement que précédemment, la profession évolue de manière à préserver à la fois une cohésion d’ensemble et une capacité à entretenir une relation de partenariat principal avec les dirigeants de TPE. Un marché électronique des compétences est structuré par l’Institution, essentiellement pour en faciliter l’accès aux cabinets petits et moyens. Dans ce contexte, la valeur ajoutée provenant de l’ensemble des différents professionnels établis en France, et interconnectés, devient progressivement la seule garantie de survie de la profession, et de son organisation.

Compétences et spécialisations dans les différents scénarios

Les experts comptables dépendent très fortement de l’organisation globale du marché des compétences de gestion administrative et financière des entreprises. Il est à noter au passage que la fonction des comptables en cabinet n’est pas à ce titre indépendante de celles des comptables en entreprise, ce qui aurait tendance à prêcher en faveur d’une stratégie globale de valorisation de la fonction comptable, et de ses professionnels.

Du rythme de diffusion des nouvelles technologies dépendent de nombreux éléments pesant sur l’économie de l’expertise, et sur la répartition de cette expertise (au niveau géographique notamment). La fluidité du marché des compétences traduit leur disponibilité, à faible coût, et en tout point géographique. Ceci repose principalement sur :

  • la diffusion de l’information sur/la formation aux nouvelles technologies,
  • la possibilité pour les professionnels d’identifier rapidement des compétences disponibles sur le marché,

l’établissement de règles minimales de fonctionnement du marché électronique des compétences de manière à éviter toute dégradation de la qualité des prestations.

SCÉNARIO DE MUTATION La mise en place de cette fluidité du marché des compétences est progressive, et ne concerne dans un premier temps que les grandes entreprises. Pour la grande majorité des TPE, l’accessibilité à l’information comptable et financière ne se réalise pas directement sur les marchés électroniques, mais continue plutôt à être “intermédiée” par les experts-comptables. Ceux-ci bénéficient donc du maintien d’un différentiel fort de compétences vis-à-vis de leurs interlocuteurs, et du même coup, de la capacité à facturer leurs prestations intellectuelles. Du point de vue interne, les sources de formation restent limitées, et les modes de spécialisations des experts-comptables et de leurs collaborateurs sont en grande partie encadrées par la profession.

SCÉNARIO DE DÉCHIRURE/ SCÉNARIO DE RECONQUÊTE Dans les deux autres scénarii de Déchirure et de Reconquête, la fluidité du marché des compétences se met en place rapidement, de telle sorte que l’accessibilité des informations ne se limite plus aux grandes entreprises, mais permet à tout dirigeant de TPE de s’informer précisément et à tout moment sur toute question professionnelle.

Le scénario de Déchirure est celui d’une inertie des professionnels au regard de cette mutation : la multitude d’interlocuteurs possibles pour les dirigeants de TPE remet en cause la position des experts-comptables et fragilise leur position de partenaire.

 

Dans le scénario de Reconquête, les experts-comptables adaptent leur offre à cet environnement d’information foisonnante, et maintiennent leur position d’intermédiaire entre les entreprises et les environnements réglementaires et financiers.

Dans ce contexte de fluidité du marché des compétences, les professionnels indépendants peuvent plus aisément utiliser des compétences externes dans le cadre de “communautés virtuelles d’intérêt” permettant de répondre à des attentes plus techniques, ceci de manière immédiate et transparente pour le dirigeant d’entreprise. La différence entre cabinets intégrés et entreprises virtuelles tend à s’estomper. Par ailleurs, le développement fort des télé-services trans-frontières conduit à affranchir progressivement les prestations intellectuelles des contraintes liées à une zone géographique donnée, que celles-ci tiennent à des raisons financières, ou à des raisons réglementaires.

La formation et les compétences sont un enjeu majeur, que les différentes organisations professionnelles ont largement abordé. Le contexte de la formation pris globalement peut être soumis à plusieurs formes de changements dans la décennie qui vient. Les nouvelles technologies et l’obsolescence accélérée des connaissances facilitent le passage d’une formation plutôt organisée (au niveau de l’entreprise, ou des institutions professionnelles) à une auto-formation permanente. Dans le même temps, le champ des connaissances se globalise, ce qui rend pratiquement obligatoire la maîtrise de langues étrangères, et notamment de l’anglais. Dans le même temps, les réseaux de télécommunications étendent les modalités de diffusion et de structuration des savoirs, et facilitent la formalisation de l’expérience acquise en niches de spécialisation : la différence entre savoirs théoriques et savoirs pratiques tend à s’atténuer, dans une boucle de fertilisation croisée plus rapide.‘    

LE SCÉNARIO DE LA MUTATION

Le premier scénario est celui d’une évolution tendancielle, à la fois de l’environnement de travail des experts comptables, et des activités des cabinets. Il n’est pas pour autant le scénario de l’immobilisme : de fait, les tendances actuelles amènent progressivement à une mutation de la profession.

Le mouvement de globalisation se poursuit selon les axes aujourd’hui connus. Les secteurs régis par des accords trans-européens sont plus nombreux, ce qui amène les dirigeants d’entreprise à être plus sensibles à la maîtrise des environnements réglementaires qui leur sont opposables. Ceci est renforcé par l’internationalisation économique et le renforcement des liens des PME avec l'étranger. Cet enracinement international ne se joue pas uniquement au niveau des clients, mais aussi à travers la gestion des fournisseurs, et les structures d’actionnaires. Les TPE sont de plus en plus impactées par ce phénomène, et doivent soit de manière directe, soit via leurs interlocuteurs français, tenir compte des pratiques internationales.

Le marché des services aux entreprises devient progressivement un marché banalisé, à l’image d’offres de services comme l’externalisation, ou la réingénierie des processus. Ce sont d’abord les grandes entreprises et leurs filiales qui sont concernées, et ensuite leurs partenaires économiques dans les PME, voire dans certaines TPE. Ce mouvement est accéléré par la tertiarisation de l’économie, qui recouvre deux phénomènes distincts. D’un côté, le reengineering des activités fonctionnelles des entreprises se développe, ce qui accélère les réflexions des dirigeants sur la nature des coûts administratifs, et leur productivité. D’un autre côté, l’offre de services aux entreprises se développe, les entreprises du secteur tertiaire deviennent plus nombreuses, et l’expérience de l’externalisation se diffuse à toutes les activités non stratégiques des entreprises. L’externalisation des activités comptables et administratives s’intègre dans cette tendance. La maturation du marché des services aux entreprises est parallèle à l’augmentation de la volatilité de la clientèle pour les activités banalisées.

Plusieurs hypothèses d’évolution de l’environnement réglementaire s’inscrivent dans ce scénario tendanciel. En premier lieu, l’intégration Européenne contraint les modalités et l’intensité de la politique fiscale et budgétaire : les objectifs de réduction des déficits budgétaires poussent à l’optimisation de l’utilisation des fonds publics de soutien à l’activité économique et à l’amélioration des interventions des organismes publics d’aide aux entreprises. Les mécanismes non financiers de soutien à l’activité économique sont valorisés, soit au travers d’une simplification des contraintes de déclaration des entreprises, soit sous forme d’une automatisation des procédures déclaratives. Par ailleurs, l’effort de normalisation comptable se poursuit, permettant aux entreprises travaillant à l’étranger de diminuer leurs coûts administratifs et comptables. Pour les experts-comptables, des effets à double détente sont envisageables : la simplification de l’environnement réglementaire correspond à une diminution des interventions en même temps qu’à une ouverture du champs concurrentiel, tandis que le développement de l’internationalisation économique renforce la complexité réglementaire, ce qui accroît la demande pour des spécialistes. 

Dans ce contexte global, les cabinets d’experts comptables ont à faire face à de multiples enjeux liés à la gestion des gains de productivité. Ces gains concernent en premier lieu les activités de tenue/établissement des comptes, qui représentent pour la plupart des cabinets plus de 50% du temps total travaillé. L’automatisation des écritures et l’intégration de l’enregistrement des événements comptables dans les activités opérationnelles (ateliers, vendeurs..) fragilisent l’essentiel de ces activités, et accentuent le besoin de délivrer une information comptable fiable dans des délais très courts. Par extension, la productivité des activités de contrôle et de validation des données comptables s’accentue, de manière à pouvoir intégrer cette information dans les actes de gestion courante.

La concurrence par les prix est une donnée dont l’importance ne peut que progresser pour les activités récurrentes à faible valeur ajoutée (activités de “commodités”). L’ordre de grandeur est donné par le coût moyen du dossier de Régime Simplifié d’Imposition (RSI), qui pourrait diminuer dans ce scénario d’environ 50%.

Pour combler cette baisse, les cabinets s’engagent tous sur le développement du conseil, avec une offre aux TPE essentiellement généraliste. Progressivement, la pluridisciplinarité de généralistes telle qu’elle existe dans la plupart des cabinets se heurte à une concurrence croissante (logiciel, spécialisation des cabinets, éventuellement délocalisation), tandis que ce que l’on pourrait définir comme une pluridisciplinarité de spécialistes est développée par quelques cabinets. Ce mouvement est conduit pour l’essentiel par les grands cabinets du fait de la difficulté d’amortir les compétences sans avoir accès rapidement à de nouvelles clientèles. La spécialisation des cabinets se réalise progressivement, soit par types de secteurs (agriculture, associations...), soit par types de compétences (conseil fiscal,...), soit par finalités économiques (faible valeur ajoutée à coût faible, forte valeur ajoutée à coût élevé).

Les services “connexes” sont une autre réponse à l’évaporation des missions traditionnelles. En particulier, le management des fonctions support devrait représenter un chiffre d’affaires croissant. Toutefois, en dehors de l’externalisation comptable qui relève du domaine réglementé, la concurrence d’autres prestataires de services sur les autres activités d’externalisation administrative devrait être importante, ce qui devrait peser sur la rentabilité.

Dans ce contexte, la cohésion intra-sectorielle pourrait être affaiblie progressivement, fragilisant le positionnement du CSOEC. Les règles de l’Ordre, et en particulier celles concernant les taux d’encadrement et la publicité devraient être soumises à une pression croissante débouchant sur des évolutions successives, sans pour autant conduire à une remise en cause des prérogatives d’exercice des experts comptables. Plusieurs phénomènes convergents peuvent alimenter cette dynamique. D’un côté, les entreprises vont avoir tendance à accéder directement sur les marchés étrangers de compétences (via des réseaux de type Internet) accélérant ainsi la montée de la concurrence pour une partie des cabinets. Ceux-ci pourraient être amenés à accélérer des projets de délocalisations, ou de réorganisation de la production. Dans le même temps, cette exposition croissante à la concurrence devrait mécaniquement entraîner ces cabinets à rechercher de nouveaux segments de clientèle en France. Les effets induits sont déjà en partie inscrits dans les faits, avec une marginalisation progressive des cabinets et des fonctions sans valeur ajoutée et la recherche d’un ajustement par une diminution des coûts, donc des compétences.

Globalement, une difficulté croissante à maintenir ces profils différents de cabinets dans le cadre d’une vision homogène du secteur conduit à l’affaiblissement des mécanismes de régulation globale de la profession, et à une interrogation sur la possibilité de réaliser une dépéréquation progressive des exigences vis-à-vis des professionnels. Comparable à un phénomène de dérégulation/re-régulation, cette vision segmentée des contraintes réglementaires pourrait rendre plus compatible les formes de spécialisation des cabinets avec le maintien d’une qualité globale des prestations et des règles éthiques.’     

LE SCÉNARIO CATASTROPHE DE LA DÉCHIRURE

 

L’hypothèse d’une évolution accélérée de l’environnement n’est pas à écarter, du fait surtout du rythme imprimé par la technologie électronique, qui double environ tous les ans ses performances à prix constants.

L’impact des nouvelles technologies suit un processus complexe, qui renvoie à deux dynamiques : celle qui concerne la disponibilité d’une offre technologique, et celle qui a trait à l’usage de cette technologie. S’il est délicat de décrire précisément la trajectoire des usages et de l’acceptabilité sociale d’une nouvelle technologie, quelques règles semblent pouvoir être dégagées. En premier lieu, la diffusion d’une nouvelle technologie est le résultat d’une convergence des usages d’autres technologies/pratiques, qui en facilitent l’accès soit au plan psychologique (exemple de l’annuaire téléphonique et du Minitel), soit au plan éducatif (l’informatique apprise dans l’environnement professionnel accélère l’usage domestique de PC). Par ailleurs, une pression sociale à l’acquisition d’une technologie s’observe, qui s’exprime dans ce qu’il est convenu d’appeler un effet de club, qui fait que les usages d’une nouvelle technologie évoluent selon une courbe en S, avec une pénétration lente au début et s’accélérant avec le temps jusqu’à saturation (cf. le cas du téléphone, de la télévision, de la voiture,...). 

L’hypothèse retenue est que la diffusion du multimédia, et des autres technologies de l’information (terminaux mobiles, services interactifs...) renforcera des pratiques aujourd’hui en usage. Ainsi, les relations entre entreprises via les systèmes d’information devraient accélérer les possibilités d’identifier les partenaires économiques, et accentuer à la fois la volatilité de ces échanges et leur caractère spécialisé. Ces communautés virtuelles d’intérêts, bien que très souples, ne devraient pour autant pas être superficielles : au contraire, l’inter-dépendance croissante des systèmes d’information et de gestion est une dimension essentielle de ces échanges, par exemple dans le cadre d’activités partagées en flux tendus, de prestations de services communes... Une autre forme d’interdépendance consiste en la re-définition progressive des frontières internes et externes des entreprises, compte tenu de l’augmentation des télé-services trans-frontières. Ceux-ci peuvent tirer parti de plusieurs phénomènes convergents : d’abord, une disponibilité croissante des infrastructures partagées, accessibles à la majorité des entreprises (par exemple, sous forme de plates-formes technologiques dans les chambres de commerce, dans certaines municipalités...). Ensuite, l’équipement informatique et télécom des nouvelles TPE est plus flexible, et plus ouvert vers le multimédia (diffusion via les particuliers : plus de PC que de TV vendues aux USA en 1994, en France probablement dès la fin de 1996).

Ce scénario d’évolution accélérée va de pair avec une montée rapide de la convergence des politiques gouvernementales en Europe : la mobilité des entreprises de services, ainsi que la possibilité pour les firmes de réaliser des centralisations de leurs activités administratives et de localiser ces centralisations dans des environnements fiscalement et réglementairement favorables poussent en faveur d’une homogénéisation des environnements économiques, légaux et fiscaux. Dans le même temps, la volonté d’ancrer les pays d’Europe Centrale et Orientale dans le cadre de l’Union Européenne conduit à accepter une concurrence trans-frontière forte, jouant dans un premier temps sur les salaires faibles et les compétences élevées disponibles dans ces pays. La création par les grands clients de centres uniques de production administratifs et comptables peut accélérer la réflexion des cabinets intégrés (dans un premier temps) et la délocalisation d’une partie de leurs activités.

Deux termes semblent résumer le marché des compétences dans ce scénario : ceux de l’ubiquité et du temps réel. D’un côté, la télé-expertise permet aux entreprises d’accéder, selon leurs propres besoins et sans passer par un intermédiaire, aux compétences les plus pointues où qu’elles se trouvent (en université, en entreprises, en cabinets, en France ou à l’étranger). Ce phénomène de désintermédiation des compétences tend à re-définir les conditions d’activités de l’expertise : la sophistication des interventions selon la taille des clients a dans ce contexte moins de sens, et l’amortissement des compétences rares sur des marchés moins définis géographiquement permet de déconnecter expertise et taille des cabinets. Le temps réel est un des autres éléments de ce processus de ce paradigme : l’intégration des informations comptables dans les processus de décision des entreprises est lié à la capacité de participer à la vie de l’entreprise quant celle-ci le requiert.

Bien qu’il ne soit pas négatif pour tous les cabinets, ce scénario est celui d’une déchirure de la cohésion professionnelle. Les zones actuelles de fractures au sein de la profession s’intensifient, entre d’un côté les “intensifs” (qui spécialisent leur outil de travail pour accroître la productivité) et les “consultants” (dont l’objectif principal est la progression de la valeur ajoutée). Entre ces deux extrêmes, pour des raisons qui tiennent aux compétences, aux capacités d’investissement, au portefeuille de clients, de nombreux cabinets ont du mal à se positionner. La baisse rapide des prix pour les activités banalisées, déjà enclenchée, conduit à une fragilisation croissante de ceux d’entre eux qui rentreront dans un ajustement par le bas (recrutement de personnes de faibles compétences, faible capacité en conseil...). A terme, une baisse globale des effectifs de la profession et une reconfiguration des tâches en cabinets peut en découler.

L’inertie de la profession, prise collectivement, est une composante essentielle de ce scénario. Cette hypothèse se fonde à la fois sur le constat actuel de la fragmentation du secteur (petite taille des cabinets, en moyenne 6-7 collaborateurs, faible capacité d’investissement...), sur l’existence de disparités forte entre les cabinets, et enfin sur une organisation professionnelle duale (CNCC/CSOEC, deux ministères de tutelle...) au processus de décision complexe.

Parmi les conséquences de ce scénario, on peut noter celle d’une remise en cause de l’organisation professionnelle :

  • l’augmentation de la concurrence entre professionnels affaiblit les mécanismes de régulation internes à la profession.
  • la mission de “service public” de la profession apparaît mal remplie, ce qui joue en faveur de l’abandon des prérogatives d’exercice et remet en cause le rôle de l’Ordre sous sa forme actuelle.
  • la marginalisation du rôle de l’expert-comptable dans le marché du service aux entreprises s’accélère.

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LE SCÉNARIO OPTIMISTE DE LA RECONQUÊTE

La description de ce scénario repose sur une idée maîtresse : l’évolution rapide vers la Société du Savoir modifie les effets d’échelles sur lesquels se sont en grande partie structurées les organisations que l’on voit aujourd’hui. Alors qu’au développement de l’informatique centralisée répondait des organisations à compétences centralisées, les organisations du futur peuvent être envisagées selon le schéma d’une informatique dont l’intelligence est décentralisée, en interne (dans le cabinet ou le réseau d’affiliation) ou en externe (utilisation ponctuelle d’expertise). Les cabinets indépendants sont autant de pôles de compétences possibles dans un marché où la notion de proximité joue un rôle différent. Amortissant plus facilement qu’aujourd’hui des compétences plus “pointues”, ces cabinets développent des services à valeur ajoutée qui les rendent plus concurrentiels des grandes structures.

 

Plus globalement, ce scénario suppose le renouvellement de l’offre pluridisciplinaire et le développement de l’offre pluri-cabinets. Dans le premier cas, il s’agit de passer d’une pluridisciplinarité de généralistes à une pluri-displinarité de spécialistes. C’est en grande partie la complexité des questions posées par les entreprises qui conditionnent l’usage d’une relation homme-homme (et non homme-machine). Ceci est vrai quelque soit le type de clientèle. De manière réversible, prendre en charge cette complexité peut permettre aux cabinets d’éviter la pression technologique en matière de productivité. Le développement des offres conjointes /alliances ponctuelles entre cabinets est le pendant de cette pluridisciplinarité de spécialistes, qui permet à plusieurs cabinets de prendre en charge ensemble les multiples aspects d’un problème de gestion d’un client.

Cette trajectoire d’innovation n’est sans doute pas applicable à tous les cabinets. Non seulement parce que le montant des investissements est élevé (coût de la formation/information par spécialités, systèmes informatiques,...), mais surtout parce que plusieurs conditions doivent être remplies, que ce soit au niveau des cabinets, ou au niveau de la profession. 

Au niveau des cabinets, la question principale est celle de la re-formulation des compétences et des expertises afin d’ajuster l’outil de travail à des environnements de concurrence de plus en plus segmentés et efficaces. D’un côté, les cabinets engagés dans une voie “productiviste” doivent adapter leurs effectifs pour accroître autant que possible la productivité des salaires sans nuire à la qualité des prestations effectuées : ceci passe par plus de recrutements de niveaux bac+2 ou moins, associés à des évolutions de carrière internes et des procédures rigoureuses. Pour les cabinets orientés conseil, la répartition des effectifs devraient se faire vers plus de consultants, et moins d’analystes, de manière à intégrer dans les prestations un contenu croissant de recommandations opérationnelles et managériales, au détriment de la facturation de simples grilles de représentation de l’activité des entreprises.

Dans cette perspective de spécialisation, tous les cabinets ont un intérêt à développer un projet stratégique, permettant de capitaliser sur leur portefeuille actuel de clients et de compétences, et d’identifier les besoins de développement et les leviers en matière de gestion financière et commerciale. Ce volontarisme semble devoir être associé pour les structures indépendantes à l’acceptation que l’investissement doit être poussé, même au prix d’une diminution de la rentabilité à court terme.

L’orientation vers le conseil repose sur l’accentuation des compétences sectorielles opérationnelles, ceci dans le cadre d’une analyse claire de la chaîne de valeur des clients, c’est-à-dire ce qui constitue leur production de richesse. Les cabinets d’experts-comptables pourront d’autant mieux développer leur valeur ajoutée que celle-ci sera un pilier de l’activité de base des entreprises clientes.

De nombreux atouts sont entre les mains des cabinets : ainsi, les portefeuilles de clients restent aujourd’hui en grande partie à valoriser à travers des offres de synergies industrielles (mise en commun de ressources, synergies d’achats ou de contacts clients...).

Enfin, l’amélioration des environnements de communication devrait inciter les cabinets à modifier la disponibilité de leurs compétences pour les entreprises. La différenciation des cabinets pourrait se jouer en grande partie sur le temps réel non seulement pour les activités banalisées, mais surtout pour celles à forte valeur ajoutée.

Ce scénario requiert un volontarisme fort de tous les acteurs de la profession : cabinets et institutions ont un intérêt commun à éviter une fragmentation rapide du secteur.

Un premier enjeu qui appelle l’implication de l’institution est la gestion globale du marché des compétences, notamment pour en améliorer la liquidité, et la sécurité, et intégrer les aspects dérivés du multimédia.

 La liquidité du marché national des compétences passe d’abord par l’identification des compétences des cabinets. Concrètement, un des modes d’organisation possibles pourrait être le suivant :

  • la mise au point d’une grille des compétences disponibles en cabinets, avec des définitions opérationnelles et consensuelles sur les différentes notions de compétences (formation initiale des collaborateurs, expériences professionnelles minimales, références dans le domaine...).
  • la mise à disposition d’une base de données nationale permettant à tout cabinet d’identifier rapidement des interlocuteurs.
  • la constitution de bases de données de spécialistes associés à des groupements sectoriels, permettant de développer progressivement une “auto-régulation” de ces groupes selon des critères propres (groupement des experts comptables spécialisés en évaluation).

En parallèle, il est possible que des règles minimales d’organisation de ce marché des compétences doivent être précisées, de sorte qu’à la fongibilité des compétences soit associée la sécurité des missions partagées entre différents cabinets. Les conditions de responsabilité des différents partenaires, la contractualisation entre les différents cabinets, les modalités de respect de l’éthique, etc..., peuvent être des facteurs accélérateurs dans le développement de missions partagées.

Ce scénario est aussi celui du volontarisme technologique pour la profession, non seulement en direction des cabinets, mais aussi en support pour les clients des experts-comptables. Peuvent être notamment envisagés dans ce cadre la formation et l’information via bases de données et logiciels professionnels, le développement d’une politique permettant aux cabinets d’experts comptables d’utiliser ou d’offrir à leurs clients des plates-formes technologiques...

En parallèle, la re-négociation des prérogatives d’exercice pour les adapter au contexte du virtuel semble constituer un élément important de ce scénario. Ceci tient non seulement à la capacité croissante pour les entreprises d’utiliser le marché électronique des compétences, mais aussi à la possibilité pour les cabinets d’experts comptables d’utiliser ce support pour développer des clientèles nouvelles. La mise à jour des règles actuelles qui organisent les relations entre entreprises et cabinets (publicité, éthique, responsabilité...), ainsi que des moyens de surveillance et de sanction, en découlent en droite ligne.

Plus largement, un effort pour re-définir le métier de l’expert-comptable peut s’avérer nécessaire. Plusieurs frontières sont à re-dessiner : la notion de marché des compétences se dématérialise, de même qu’évolue la nature des intervenants sur ce marché. Dans le même temps, à l’image de ce qui se passe au sein des entreprises clientes, les frontières entre intérieur et extérieur des cabinets deviennent plus poreuses, de telle sorte que sont remises en cause des notions tenant à l’organisation classique des cabinets. Le respect des processus prend le pas sur la régulation des aspects de structure.

Dans ce contexte, les institutions professionnelles peuvent opter pour plusieurs types d’interventions :

  • la régulation, qui peut aller de la labellisation de groupes d’acteurs (auto-régulation) à la négociation de nouvelles règles ordinales
  • la prise en charge directe d’aspects de gestion du secteur ou de groupes de professionnels : formation des personnes, aide au rapprochement des cabinets....
  • la prestation de services à la demande : missions ponctuelles d’audit des compétences, aide à la transformation des petits cabinets,....

CONCLUSIONS

La profession dispose aujourd’hui de la plupart des éléments nécessaires à sa transformation :

  • la prise de conscience que le secteur est entré dans une phase de vaste restructuration s’est généralisée. Elle était déjà observable lors d’une enquête en 1992 : à l’époque, 76% des professionnels partageaient déjà cette vision.
  • le décalage fort entre les discours et la mise en oeuvre concrète de changements renforcent le besoin de définir pour les dix ans qui viennent les grands objectifs de la profession et de dégager une vision globale des transformations à opérer.

 

La décennie qui vient ne soulève pas uniquement des questions quant à la rentabilité des cabinets, et à la nature des clientèles et des missions. C’est plus profondément le positionnement des experts-comptables dans le tissu de production et d’utilisation des informations économiques et financières qui se joue. Les nouvelles technologies constituent un catalyseur de cette nouvelle donne. De même que les marchés électroniques ont fait disparaître les commis de bourse, et de nombreux pans de l’activité des sociétés financières, la dématérialisation ouvre aux cabinets comptables de nouvelles perspectives et de nouveaux métiers .

Les opportunités ainsi créées ne semblent pas devoir jouer plus en faveur des grosses structures intégrées que des petits cabinets indépendants. Seule la capacité d’intégrer les possibilités ouvertes par une fluidité plus grande des compétences dans des marchés élargis peut différencier les acteurs de cette phase inévitable de transition.

Les institutions professionnelles ont un rôle à jouer dans cette transition, pour faciliter l’adaptation de la profession comptable à un environnement différent, en évitant un scénario de Déchirure. Ce rôle est d’autant plus important que les interdépendances entre les différents cabinets sont fortes ; il est d’autant plus délicat que les adaptations à faire devront s’appuyer non pas sur une péréquation des contraintes comme aujourd’hui mais sur une complémentarité des atouts dont disposent déjà de nombreux professionnels.



nb : Trois types de variables ont servis à articuler les scénarios : les variables motrices dont l’influence sur l’environnement est plus importante que la dépendance vis)à-vis des autres variables ; les variables relais qui ont un niveau d’influence élevé sur l’environnement, mais qui sont en même temps très dépendantes de l’évolution des autres paramêtres ; enfin, les variables conséquences, dont la dépendance est forte. Influence et dépendance ont été estimées pour chacune des variables vis-à-vis de toutes les autres (cf annexe).

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