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Prospective métier : évolution du métier d’expert-comptable, d’ici à 2015

Quelles leçons tirer de dix ans de prospective ?

La réflexion prospective au sein du secteur existe depuis 20 ans et le congrès de Saint-Malo de 1987. Gilles Ourvoie, PMI Factory [http://pmifactory.com/ ], a piloté en 1997 l’étude réalisée pour le congrès du Cinquantenaire[1] portant sur l’avenir de la profession à horizon 2007. Il tire aujourd’hui pour nous quelques leçons de l’intérêt et des limites d’un tel exercice sur une période longue : on en évoquera trois, l’objectif n’étant pas ici d’être exhaustif. Son analyse, qui ne peut pas refléter une vision de l’institution, est destinée à nourrir la prospective professionnelle.

Source : Carnet de tendances, Congrès de l'Ordre des Experts comptables, Lille 2007

http://caribou.nexen.net/Sites/62/pages/8Supports/docs/CarnetTendancesInternet.pdf

La première leçon que l’on peut tirer porte sur la difficulté pour la prospective d’anticiper sur les trajectoires réelles de changements, leur forme et leur vitesse. Un secteur économique ne change pas de manière linéaire, de nombreux paramètres externes et internes interagissent. Pour ce qui concerne les experts-comptables, une soixantaine avaient été listés en 1997, pour la plupart encore d’actualité. Ce sont ces différentes interactions qui construisent globalement le changement. Les évolutions se développent de manière partiellement autonome avant de se rejoindre dans des phénomènes économiques, sociaux, culturels de plus grande ampleur. La compréhension globale de ces transformations n’est pas immédiate. Il y a là un enjeu majeur pour la prospective, qui doit repérer des tendances, des ruptures, des signaux faibles, et en déceler le potentiel de cohérence avec d’autres tendances. Sur cette base se pose la question plus délicate de la trajectoire possible de développement : quelle peut-être la vitesse de propagation d’un phénomène ? Quels facteurs d’accélération ou quelles contraintes vont peser sur cette trajectoire ?

Pour simplifier, on peut s’appuyer sur une représentation générale des trajectoires de changement. Du fait des jeux d’interdépendances multiples, et d’effets de réseaux, elles prennent plutôt la forme suivante :

 

Etape 1

Etape 2

Etape 3

Etape 4

Etape 5

Mécanisme général de propagation

Impact marginal auprès de quelques acteurs isolés

Peu de réaction collective

Le phénomène commence à acquérir une signification collective – il n’y a pas de réaction collective du fait de la tendance à sous-estimer l’ampleur de l’ajustement

Un point d’inflexion est atteint – avec la prise de conscience d’une irréversibilité du mouvement. La réaction collective s’organise

 

Des ajustements rapides se mettent en place – une dynamique vertueuse se créée

 

D’autres problèmes surgissent – d’autres ajustements sont nécessaires

L’innovation

De nouveaux débouchés sont signalés, des innovations ponctuelles portées par des cabinets ayant un degré de spécialité/d’exposition fort à certaines caractéristiques métiers

L’intérêt pour ces innovations se communiquent au sein de la profession – des solutions plus « industrielles » apparaissent

Des services mutualisés au sein de la profession sont mis en place – des questions se posent sur les conséquences en matière de formation, de réglementation,…

La mise en œuvre des nouvelles approches est diffusée rapidement – le sentiment d’urgence est partagé, l’irréversibilité acquise

De nouvelles difficultés émergent, qui demandent des ajustements nouveaux

L’apport possible de la prospective

Détection des facteurs de rupture, des tendances

Analyse des impacts possibles [vitesse, effets induits…]

Solutions d’accompagnement et d’industrialisation

Identification des limites de l’exercice – solutions

Etape 1 [pour cycle de réflexion suivant]

La convergence des industries et des usages du téléphone, de l’informatique et de l’audio-visuel illustre cette mécanique : anticipée dès la fin des années 80, elle n’est véritablement passée dans les usages que depuis quelques années, avec des conséquences directes en termes de destruction économique et de création de valeur.

Cette courbe générale est influencée par des éléments de conjoncture mais aussi par des caractéristiques institutionnelles et culturelles qui distinguent les pays. Ainsi, la vitesse de propagation des idées et des innovations est-elle différente selon les environnements. En France, la propagation de l’innovation semble se heurter à une inertie plus grande que dans les pays anglo-saxons, compensée en partie par une accélération plus forte dans la phase suivante : ainsi de la mise en œuvre du plan téléphonie numérique, de l’énergie nucléaire, et plus récemment de l’utilisation de l’Internet haut débit.

Pour les experts-comptables, l’environnement professionnel a profondément changé dans ses composantes, au-delà de ce qu’imaginaient en 1997 les tenants de scenarii de « continuité ». On mentionnera pour rappel :

  • le développement de l’informatisation des TPE au niveau et plus des grandes entreprises ;
  • l’accès universel à l’information via Internet avec une capacité de traitement de l’information largement supérieure aux besoins de l’activité humaine traditionnelle ;
  • l’approfondissement de la mondialisation au niveau de la très petite entreprise associé à une redéfinition de la notion de zone de chalandise et des concepts même de clients [« crowd-sourced intelligence », « customer co-creation »…] ;
  • la demande sociale accrue de transparence et d’éthique traduite en nouvelles normes mondialisées [IFRS, SOX, LSF…] et l’extension des normes à d’autres sphères de l’activité marchande [environnement,…]

Pour autant, ces composantes séparées visent des paliers supérieurs de convergence et de cohérence comme le développement mondial de l’économie de marché et de ses outils ou la demande sociale universelle en matière de justice, d’éthique et de transparence. Ce sont ces lames de fonds qui convergent massivement sous nos yeux, et font de la période historique actuelle une révolution et une fierté [mais aussi une difficulté] pour des milliards d’individus à travers la planète.

Une période se termine, une autre commence en effet, sans doute très différente. La décennie qui s’achève a vu effectivement le scénario de Mutation progressive de la profession dominer. Il n’y a pas eu de modification drastique du secteur, pas de déréglementation de l’activité, pas de fragmentation dela profession. En somme, pas de scénario de « déchirure », mais pas de reconquête non plus.

Face aux changements externes, les cabinets ont à leur disposition différentes variables d’ajustements : nous en avions identifié une trentaine - couvrant les aspects de relations clients, d’organisation et de productivité, de compétences et d’organisation de la profession.

En dépit des changements importants de l’environnement des experts-comptables mentionnés plus haut, l’impression première que l’on peut avoir avec dix ans de recul est celle d’une [trop] grande stabilité des pratiques professionnelles : les questions soulevées il y a dix ans [développement des activités « non-core », formation, ouverture à l’international, approfondissement de l’intégration européenne, développement de l’usage de l’informatique, risque de déréglementation,…] sont pour nombre d’entre elles encore d’actualité.

Un phénomène joue dans cette impression illusoire de stabilité, qui résulte de l’exercice de prospective lui-même d’anticipation, d’acculturation au changement : l’assemblage opérationnel de toutes les briques de changement peut être beaucoup plus lent qu’un simple meccano intellectuel. On peut interpréter la stabilité comme une phase préliminaire d’un changement à venir.

Cet argument peut jouer, mais sa portée est théorique. Il est clair en effet qu’il n’y a pas eu de crise du secteur. Les activités comptables ne se sont pas effondrées vers la quasi-gratuité, la fragmentation du secteur est restée forte, les profils employés n’ont pas considérablement variés. L’ajustement ne s’est pas traduit massivement par une concurrence sauvage sur les prix, poussant la profession encore plus vite vers un environnement déréglementé. L’ajustement de la profession s’est traduit en réalité à un niveau moins visible, moins dramatique aussi, dans les pratiques quotidiennes.

C’est là aussi qu’il faut rechercher la nature des vrais enjeux et les opportunités/risques pour le futur :

  • La taille moyenne des missions baisse, en particulier en Région parisienne qui peut servir d’indicateur avancé [respectivement -10% à 3,4 K€ entre 2003 et 2005 et -16% à 4,9 K€[2]]. L’apport de nouvelles missions, comme la paie et les travaux annexes [11% du CA] n’est pas suffisant pour endiguer la baisse du chiffre.
  • La taille des clients baisse : entre 2003 et 2005 les TPE [0-9 salariés] représentent 83 % du CA des cabinets de 1-50 salariés contre 77 %.
    • Face à de tels clients, il est inévitable que des prestations comme le conseil restent faibles [5 % du CA des cabinets]. Les contraintes budgétaires sont telles qu’une offre de prestations ne peut se développer sans s’appuyer sur une spécialisation métier pour trouver sa justification [co-création de valeur].
    • Or la formation, les profils et les ressources nécessaires à ces questions ne sont pas disponibles dans la plupart des cabinets. Les cabinets vieillissent, la formation non technique est quasi-inexistante.
    • En même temps, le schéma d’une « expertise comptable intensive » avec des petits clients est aussi problématique – on peut le comparer à la stratégie du Crédit Agricole face aux petits agriculteurs dans les années 50 et 60. Elle entraîne  tout le secteur vers un schéma à 2 vitesses.
  • Ceci a été pour autant été jusqu’à présent amorti par l’amélioration de la productivité :
    • Le nombre de clients par cabinet et par collaborateur augmente, sauf pour les cabinets de 1 à 2 salariés. Mais ce qui progresse, ce sont les clients de 0 salariés [27 % du CA en 2005 contre 19 % en 2003], ceux qui ne pourront pas payer des missions lourdes.
    • Les cabinets ont des taux d’utilisation supérieur, les associés en particuliers ont augmenté leur taux d’utilisation. Mais les effets de cycle jouent moins du fait des nouveaux débouchés, la question des futurs gains de productivité se pose.
    • On rentre donc potentiellement dans une période de crise lente, avec à la clé la nécessité de solutions plus innovantes que des simples ajustements de l’organisation locale de travail.
  • La question de l’organisation et de la stratégie est minimisée compte tenu de la taille moyenne des cabinets. Les usages des technologies sont loin d’avoir été exploités. On peut avoir en tête que tout ce qui peut être digitalisé sera délocalisé à brève échéance maintenant que les conditions s’assemblent- la question culturelle étant une « non-issue » du fait de la massification des études internationales. En étant pragmatique, comment assurer que des jeunes de pays à bas coûts puissent être formés en France ou dans leur pays à la comptabilité française, pour faciliter l’accès des cabinets aux coûts/compétences adéquats ?

 

Si, comme on l’a vu, la vitesse de changement est difficile à déterminer, l’accélération semble aujourd’hui en cours. Il ne faut pas mésestimer l’ampleur et la variété des formes possibles de ce changement, qui porte à la fois sur la nature des relations clients, sur l’offre de service attendue, sur les compétences professionnelles et humaines, sur les processus de fonctionnement des cabinets, sur les valeurs et les règles internes aux cabinets. La prospective doit être à l’affût de ces différents chantiers possibles.

En même temps, ceci conduit logiquement à relativiser l’importance attribuée spécifiquement à certains paramètres par opposition à d’autres. La question en particulier de la déréglementation de la profession est un exemple d’une telle focalisation. La politique réglementaire étant par ailleurs elle-même la résultante d’autres forces, c’est celles-ci que la réflexion prospective doit aussi éclairer : « notre avenir est drivée essentiellement par l'activité de nos clients et donc il est préférable de s'intéresser à des méta tendances ».

 

La troisième leçon concerne l’efficacité de la réflexion prospective.

De même que l’on ne peut confondre - comme le rappelait René Thom - prévisibilité et compréhension, l’on ne saurait confondre conceptualisation et action.

Les experts-comptables se sont dotés à partir de 1997 d’une véritable structure de réflexion prospective. Via Internet, ces éléments sont aujourd’hui largement accessibles, et le CSOEC s’est engagé résolument dans cette démarche numérique. Pour autant, on l’a repéré dans le tableau plus haut, les points d’attention de la prospective doivent évoluer en fonction du contexte. L’environnement économique global de 2007 a- on l’a dit- changé de façon dominante selon le scénario le plus ambitieux de 1997.

Du point de vue de la réflexion prospective, ces évolutions ont des conséquences importantes que l’on peut simplifier de la manière suivante :

  • les effets de palier décrits plus haut nécessitent pour les experts-comptables d’être vigilant sur la vitesse et l’ampleur des changements possibles. L’on peut être sur un rythme lent de changement pendant 20 ans, puis être confronté à un changement brusque. Cela nécessite un surcroît d'effort pour comprendre ce qui se passe dans l’environnement.
  • le périmètre d’observation des tendances est de plus en plus international. Les facteurs nationaux – comme la réglementation- sont eux-mêmes soumis à des évolutions en partie déterminées ailleurs, qu’il faut saisir.
  • les cycles d’innovation se raccourcissent, avec notamment des cycles d’innovation et de « time-to-market » qui se compriment. Ceci modifie la nature même dela prospective. Uneanalogie est possible avec la planification stratégique dans les grandes entreprises. Depuis près de 10 ans déjà, les grands groupes ont modifié cette planification, soit en supprimant les départements de stratégie, soit en leur donnant un périmètre plus opérationnel [de business development par exemple] ; elles ont aussi développé des approches plus souples comme celle du « concurring strategy » ou de stratégie au fil de l’eau. La prospective peut tirer avantage de ces évolutions : comme la planification stratégique, elle doit se faire au fil de l’eau, avec des boucles d’informations rapides, et un lien plus direct avec des actions concrètes. 

Nous sommes en réalité déjà en train de basculer dans ce que l’on peut appeler une « Prospective Phase 2 ». De nombreux outils d’analyses existent, les modes de compréhension des tendances et des ruptures possibles existent, il faut donc aller un cran plus loin, vers une « prospective d’actions », qui puissent soutenir les cabinets dans des efforts concrets de transformation. Citons ici volontairement quelques pistes un peu iconoclastes :

  • circulation de meilleures pratiques en termes de transformation [élaboration du projet de cabinet, plan d’actions détaillées…], et prix annuel dela Transformationremis lors du Congrès
  • checklists de procédures/de compétences à mettre en œuvre – avec une caractérisation visible pour le client, et définie avec le CSOEC [ex : EC+]
  • mise en œuvre d’une bourse électronique de compétences pour faciliter la démarche de réseaux [pourquoi pas sur le modèle des enchères par click de Microsoft Live ?],
  • programmes internationaux destinés à mettre la profession au niveau des meilleures pratiques mondiales
  • coaching individuel pour les associés…

Les idées ne sont pas, on le constatera, une ressource rare, pour faire du secteur une profession qui bouge dans une société et une économie française qui semble à une bifurcation historique comparable à celle des années 70. Après les Trente Glorieuses et « les Trente Assoupies » s’ouvre aujourd’hui une nouvelle période de changements sociaux, économiques, à laquelle correspondent bien la gouvernance présidentielle actuelle et son parti pris de mise en cause de fonctionnements existants, de « table rase » potentielle, et de recherche d’innovations. Dans ce bouillonnement que l’on pressent, quels seraient les points essentiels pour les experts-comptables ?

 

> Quels principaux leviers pour les 10 ans qui viennent ?

Ex post, la dernière décennie apparaît comme la première phase des évolutions à venir – et nous les connaissons déjà en grande partie :

  • Défragmentation poussée des chaînes de valeur dans toutes les activités humaines significatives, réorganisée de façon systématique autour de ce qui est numérisable, et donc transportable quasi-gratuitement n’importe où dans le monde. Des données numérisables [factures clients ou fournisseurs, documents comptables, corpus réglementaires, flux vidéo,…] impliquent inéluctablement des opportunités de réingénierie des processus. Les experts-comptables ont peu d’activités non numérisables : il faut les valoriser autant que possible, leur donner un sens économique, les développer.
  • Délocalisation de ces composantes d’activités en fonction des critères de coûts, de fiabilité et d’accessibilité. La numérisation permet d’envisager de la « délocalisation ponctuée », pour des éléments de plus en plus rapides et petits de la chaîne de valeur [ex : les vérifications d’accès aux systèmes sécurisés]. Il est aujourd’hui possible aux américains, mais aussi anglais ou australiens d’obtenir un service de book-keeping comptable en temps quasi-réel pour un prix horaire entre 5 et 10 dollars US [à comparer à un taux moyen de facturation de 50 à 65 € pour la France], pour des volumes d’entreprises unipersonnelles. En quelques jours, j’ai démarré une discussion de recrutement en Inde pour un « administrative and accounting manager » parlant français. La mission comptable à 1 000€ ne semble pas inatteignable.
  • Concentration de ces composantes d’activités de manière à les industrialiser autant que possible et en réduire les coûts. Les cabinets d’offshore comptable indiens réunissent déjà des centaines de salariés. Ils vont continuer à accroître les effets de taille, utiliser des logiciels et des technologies de plus en plus variés et sophistiqués, et remonter autant que possible dans la chaine de valeur, pour s’intéresser à l’optimisation fiscale, et à l’outsourcing complet de la fonction finance des petites entreprises. Les autres pays à bas coûts vont les y contraindre [Chine, PECO, …].

Progression des avantages concurrentiels par ceux qui maîtrisent l’essentiel de la chaîne de valeur, ou qu’ils soient. Le rachat à terme de franchises d’experts-comptables, ou la localisation de points d’entrée dans les pays cibles est en cours : les firmes indiennes d’offshore comptables ont déjà leurs « CPA’s » basés dans les différents pays anglo-saxons. Ce phénomène de captation de flux, et de compliance [ L’expression anglaise « to comply with » peut-être traduite comme « être conforme à un certain nombre de données déterminées »1. De façon générale, la notion de « compliance » comprend les stratégies propres à assurer un comportement conforme aux « règles du jeu ». ] va certainement se poursuivre.

Ces évolutions jouent sur les différences institutionnelles, culturelles et économiques des pays dans un contexte général de convergence des pratiques professionnelles et des possibilités technologiques. Ces convergences ne s’opèrent toutefois pas n’importe comment : l’on peut observer que le système anglo-saxon est celui qui sert aujourd’hui de plate-forme de convergence, et ceci bien au-delà de l’influence du modèle des Big Four. En réalité, toute la réflexion économique et stratégique mondiale est aujourd’hui influencée par les pratiques anglo-saxonnes en matière financière, de stratégie d’entreprises, d’organisation, de financement, et ceci puise à la source dans la redoutable efficacité des MBA’s et leur notoriété au niveau international.

La Franceapparaît aujourd’hui en retard sur cette vague de modernisation par rapport à cet environnement de travail anglo-saxon, dont la mécanique est propulsée par le développement de nouveaux pays et de nouvelles offres de services. La maîtrise commune de l’anglais, l’existence de liens intellectuels anciens et des parcours communs de formation des experts permet des niveaux d’échanges dont les entreprises français ne bénéficient que marginalement. Si l’on prend comme exemple le cas de l’outsourcing comptable et financier, le marché français n’est pas considéré par les firmes indiennes ou chinoises comme une cible en tant que telle, et la demande émanant des français est pour l’heure quasi-inexistante.

Pour un prospectiviste, l’hypothèse que cette situation perdure ne saurait être considérée comme prudente pour les raisons suivantes :

  • L’internationalisation des esprits va se poursuivre sur un mode rapide. Des firmes françaises [comme Capgemini s’installant en Inde] contribuent à développer des transferts réciproques de cadres. Il faut parier que des offres de services destinées aux TPE/PME françaises vont se développer.
  • La maturation va aussi se faire côté occidental : une fois les marchés anglo-saxons développés, les prestataires vont s’intéresser aux autres économies occidentales, hispanophones, germanophones, francophones… La question de la langue est une « non-issue » qui peut être réglée rapidement, d’autant plus que les personnes recrutées peuvent avoir un niveau éducatif élevé pour un coût faible.
  • Il sera difficile aux experts-comptables français de ne pas considérer comme tangibles ce que les CPA’s américains, canadiens, ou australiens auront réalisé au cours des années en matière de fiabilisation des procédures d’outsourcing [gestion de la confidentialité, propriété intellectuelle des données, suivi de la qualité…].

Pour autant, cette dynamique générale ne doit pas conduire à considérer que les experts-comptables français ne disposent pas d’atouts à faire jouer dans les années à venir. On peut citer entre autres :

  • L’infrastructure technologique du pays – avec par exemple un taux de connexion haut débit parmi les meilleurs au monde. D’où le fait que le développement des usages complexes des nouvelles technologies de type web2.0 soient intéressants [exemple : conseil à distance via video-conferencing]
  • L’image internationale positive dans des pays de cultures et de religions variées – ce qui multiplie le potentiel d’alliances dans un premier temps des entreprises [grands groupes, puis PME et TPE], et par phénomène de mimétisme pour les prestataires de services.
  • Une organisation professionnelle forte, représentant des points de vue multiples, entré avec volontarisme depuis plusieurs années dans la modernisation du secteur avec des ressources fortes.

Ces tendances peuvent paraître « macros » et éloignées des pratiques des cabinets –en particulier de celles des petits cabinets qui constituent l’essentiel dela profession. Quelquesgrands principes nous semblent répondre à cette complexité générale d’un point de vue pragmatique :

  1. 1.    Se méfier du tempo. Aller le plus vite possible en guise de précaution. Le tempo d’évolution des pratiques professionnelles est d’ores et déjà fixé en dehors de France par des populations nombreuses et éduquées qui accèdent de manière massive au marché mondial des compétences. En France, les nouveaux dirigeants et salariés d’entreprises vont aller chercher de manière naturelle les compétences requises par leur métier sur Internet. Les digues traditionnelles [rente de situation géographique, réseaux de sociabilité et de prescription,..] vont être en partie contournées par des acteurs nouveaux situés n’importe où, grâce à de nombreux arguments [disponibilité 24/24, 7j/7 ; maîtrise technologique ; qualité du service, coût faible…]. L’expert-comptable doit anticiper sur la demande de ces nouveaux salariés, maîtrise ces offres de services et les proposer aux clients avant que ceux-ci ne les découvrent seuls. Par exemple, à partir de 3-5 salariés temps plein, il faut se poser la question de l’outsourcing comptable et financier, et proposer des solutions aux clients.
  1. Concevoir l’expertise comme une commodité par opposition à des croisements « horizontaux » de compétences plus rares et plus valorisés. Il faut concevoir que dans un univers de compétences techniques non rares et à bas coûts, de nombreuses rentes actuelles de situations tombent, et qu’il faut donc réfléchir en permanence sur de nouvelles offres. Une piste est celle de la valorisation systématique des « bouquets de compétences ». Un de vos collaborateurs parle une langue rare, connait très bien un secteur économique ou un mode de fonctionnement missions ? il faut en faire un axe de réflexion et de développement. Partir des « bouquets » existant, et construire des projets cohérents d’investissement, d’alliances entre cabinets en France ou à l’étranger, de gestion des compétences, etc.
  1. Organiser une base virtuelle de clientèle comme la zone physique de clientèle actuelle. Les rapports économiques deviennent moins dépendants des contraintes physiques dans leurs aspects routiniers. Le marché des compétences devient global. Les clientèles se singularisent dans une zone plus large. Les réseaux ne se constituent plus exclusivement autour des géographies physiques, mais autour des pôles virtuels de compétences – tant mieux si les deux convergent, mais le cas est rarement durable. Il faut avoir des collaborateurs visibles dans ces nouveaux espaces de travail : webcasts globaux par secteur, blogs spécialisés, …Le branding et le positionnement de votre cabinet se joue en grande partie sur Internet. Vous connaissez parfaitement la région, les différents acteurs, les principaux décideurs, les évènements qui comptent ? Il faut se poser la même question pour la base virtuelle de clients – dès lors que votre « bouquet de compétences » vous permettra de l’exploiter.
  1. Articuler Industrialisation et Innovation. Au cours de la dernière décennie, les enquêtes montrent que les cabinets ont réalisé un double mouvement.
  • D’un côté, ils ont accru leur productivité : le nombre d’heures facturés s’est accru pour toutes les catégories de collaborateurs, et en particulier pour les associés ; ceci a été en partie réalisé grâce à la focalisation autour des activités cœur de métier [tenue/surveillance des comptes].
  • En même temps, une diversification partielle a eu lieu avec la montée du social à près de 11 % du CA moyen. Le taux moyen standard a progressé lui aussi, sans doute grâce à l’implication forte des associés. Mais ces mouvements n’ont pas modifié significativement la donne.

La réduction des coûts est un réflexe naturel qui permet de faire face à court terme à la diminution de la taille moyenne des missions, qui est clairement en marche. Ce n’est pas suffisant lorsque l’on constate le gap par rapport aux attentes clients – qui valorise la mission acceptable entre 1000 et 2500 Euros. L’innovation doit être recherchée, et elle ne saurait être envisagée sans investissement. Il n’y a pas de développement d’entreprises sans prise de risque. La dernière décennie a permis un ajustement de la profession sans prise de risque dans la gestion des cabinets. L’évolution à venir risque bien de bousculer cette culture « risk-adverse » des associés, en requérant d’aller à marche forcée vers des voies connues dans d’autres secteurs : fusions-acquisitions, diversifications, internationalisation, restructurations.

De manière synthétique, ces quatre stratégies ne doivent pas être perçues comme des problèmes, mais bien au contraire comme des opportunités pour des experts-comptables dans un contexte général de transformation pour l’économie et la société française. Il est de fait demandé à l’ensemble du tissu économique national de croître en taille et en capacité offensive sur les marchés mondiaux. Les dirigeants des TPE/PME françaises vont être incités à partir à l’assaut. Les experts-comptables doivent être parmi les prestataires qui comptent pour les aider à réussir. Ils doivent faire partie de la garde rapprochée des dirigeants qui sont leurs clients, et ceci dans un environnement nouveau pour eux.

2007 de ce point de vue pourrait bien apparaître ex-post comme une véritable année charnière vers un nouveau paradigme économique et culturel. Le CSOEC semble particulièrement bien outillé pour aider ceux qui en ont envie d’aller explorer ces champs de bataille nouveaux à mieux les comprendre et mieux les aborder. Le travail réalisé notamment au cours de la dernière décennie permet d’être particulièrement optimiste, notamment à travers un point précis : l’innovation future viendra autant des petites structures indépendantes que des grandes firmes mondiales. C’est vrai aussi pour les experts-comptables.

 



[1] « Experts-comptables, quelles évolutions à dix ans ? » Actes du 50e Congrès de l’Ordre des Experts-Comptables, pp.77-115

[2] « Etude comparative de la gestion des cabinets d’expertise comptable de 1 à 50 salariés » [2005] CSOEC

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